LA DICTATURE DES CULTUREUX
Dans un petit village du Luberon (et non pas Lubéron, comme disent les pointus), pas très loin de chez moi, le comité des fêtes avait concocté un semblant de festival culturel ayant comme objet de faire plaisir à la foi aux locaux et aux touristes de passage – sans déplaire aux peoples qui peuplent les anciennes bergeries, mas et fermettes transformés en luxueuses résidences secondaires. Le projet était des plus louables.
Patrick Sébastien avait été envisagé pour venir y faire tourner les serviettes.
Je n’ai rien contre Patrick Sébastien, que j’aime bien, au contraire. Et je trouve qu’il mérite plus de la culture que certains cultureux intégristes qui font régner la terreur dans la majorité des municipalités. Nos paysans, souvent hommes sages et de bon sens, font toujours un petit complexe face au Parisien qui, par définition, a tout vu et tout entendu, et par cela même s’impose comme éducateur des masses chez les bouseux. Encore une fois, la minorité agissante des cultureux, représentée par un ancien hallebardier de la Comédie Française, l’emporta sur la majorité inculte des natifs. Patrick fut repoussé et ce fut une obscure pièce, d’un obscur auteur, jouée par des acteurs non moins obscurs qui lui fut préférée.
Pas facile cette pièce. Pas facile pour les acteurs que le ridicule risquait de tuer à chaque réplique, et pas facile pour les spectateurs qui n’y comprenaient rien. Jugez plutôt.
Un type était amoureux de sa bicyclette qu’il tentait de sodomiser. Une grosse blonde, sosie de Marilyn Monroe si celle-ci avait vécu jusqu’à cent ans, se propose en otage pour sauver la virginité anale de la bicyclette. Alors, le président des États-Unis déclenche la troisième guerre mondiale. Après quoi, le proprio de la bécane est promu chef d’un bataillon de cyclistes. Mais il est bientôt limogé pour harcèlement velophile.
— Mam
an, pipi !
C’est le gamin de la présidente du comité des fêtes qui vient perturber la fête.
— Tout à l'heure, dit la présidente que la sodomisation de la bicyclette passionne.
— Maman, pipi !
Il semblerait que ça presse.
Déjà la moitié des spectateurs a quitté le théâtre de verdure. Reste plus que les membres du comité, et encore pas au complet.
— Maman, pipi.
Les autres, sur la scène, s’obstinent. C’est pas si souvent que ça qu’on les engage. Ils tiennent à aller jusqu’au bout.
Ceux du comité se sont lassés. Ils se défilent en douce. Ne restent plus que la présidente, le fils de la président, lequel a fini par pisser dans son froc, et le cultureux ex-hallebardier, responsable de cette Bérézina culturelle. Et moi, trop heureux de contempler le naufrage.
Le fils de la présidente vient de recevoir une baffe pour s’être oublié.
— À ton âge ! Tu n’as pas honte ?
Sur scène, les comédiens, consciencieux, vont au bout de l’œuvre pour le seul plaisir des grenouilles (les cigales ont déclaré forfait à la fin du premier acte).
L’année prochaine, Patrick Sébastien sera certainement sollicité.
