GÉNÉRATION YE YE

Dans les années 60, quelques petits malins, dont Daniel Filipacchi, s’aperçoivent que les adolescents, entre 14 et 16 ans, sont une source de revenus jusqu’alors inexploitée. Des messieurs qui veulent s’en mettre plein les poches se jettent alors sur la jeunesse et lui procure tout ce dont elle rêve. On crée des magazines pour jeunes (Salut les copains), de la musique pour jeunes, et bien sûr, des idoles qui feront hurler les gamins hystériques. Ces idoles ont pour la plupart le même âge que leurs fans. Niveau musical : zéro. Niveau littéraire ; double zéro. Qu’importe ! C’est justement le but recherché. On crée une musique pour les adolescents. Un truc facile, qui se joue avec deux, trois accords maximum, et un vocabulaire extrêmement réduit. N’importe quel gamin de 14 ans est capable au bout de quinze jours de jouer sur sa guitare ces morceaux que les radio diffusent à outrance et que reprennent les jukebox dans tous les lieux où se réunit cette jeunesse. On rejette Brassens et Ferré, trop compliqués et quasiment incompréhensibles. On méprise Bécaud, musique trop savante, trop d’harmonie, trop de mélodie. Ça fait la fortune des fabricants de guitares. Il y a alors des gens qui s’inquiètent. N’est-on pas en train de fabriquer une génération d’incultes ? On leur répond que non. N’ayez pas peur ! En grandissant ces jeunes se lasseront et rechercheront une nourriture intellectuelle plus consistante ! Eh bien il faut reconnaître que majoritairement ça a raté. (Je vois déjà les exceptions s’agiter devant leurs claviers). Ceux qui ont fait leurs universités avec les Chaussettes Noires ou les Chats Sauvages en sont restés là. Et cinquante ans après on les retrouve, vieux rockers ridicules, à hurler « Johnny on t’aime ! » et à agiter leurs gros ventres et leurs fesses molles. Dans les générations qui ont suivi, le phénomène s’est amplifié. Trois accords c’est encore trop ! Et le vocabulaire s’est encore réduit. Pour cacher l’inculture on chante en Anglais. C’est plus facile. Au moins personne ne comprend ; même pas celui qui chante ! On enregistre les chanteurs de façon à ce que la musique couvre les voix. Il y a cependant moins de groupes qui se créent. Mais ce n’est pas parce que le niveau musical s’est élevé, est devenu trop ardu, non ! Simplement que la course au matériel, à la technique, n’est pas à la portée de toutes les bourses. Pour ce qui est de la nourriture, le même phénomène s’est produit. Pour les ados on a inventé le fast-food. Il fallait transformer les goûts culinaires du peuple pour en faire un consommateur docile et pas difficil. Et on a inventé, superbe idée, le truc de la viande hachée entre deux tranches de pain ! C’est là qu’on s’aperçoit que le grand capital en a quand même dans la tête dès qu’il s’agit de son portefeuille. Le système viande hachée permet de fourguer tout ce qui dans le passé se jetait, se gaspillait, graisse, nerfs, viande avariée (j’ai même entendu parler de sciure de bois) et toutes sortes de cochonneries indiscernables dans le magma passé à la friteuse. Ceci dit, nous voici à Pâques. Le temps est venu de passer à table. Bon appétit ! Et vous pouvez même écouter un petit choral de Bach. Vu les siècles qui nous séparent on ne vous traitera pas de ringard mais de mec à la page ! Bach fait son come back.