MIGUEL DE BUENOS AIRES
Il ne faudrait pas croire que nos ancêtres étaient casaniers, pantouflards, qu'ils n'avaient pas la curiosité d'aller voir au bout du chemin. Non, nos ancêtres avaient la bougeotte, comme nous. Enfin... comme certains d'entre nous. La seule différence c'était que lorsqu'ils partaient, ils ne donnaient pas régulièrement des nouvelles. Il n'y avait pas le téléphone portable, ou le chat internet. Souvent, avec le temps et l'éloignement, les souvenirs du pays natal s'estompaient. La mémoire s’effaçait. La famille perdait sa réalité. Seuls ceux qui étaient restés au pays se rappelaient de l'absent, et même, d'année en année, embellissaient cette absence.
J'ai eu un oncle, frère cadet de ma grand-mère, qui partit un jour aux Amériques. On ne savait pas très bien où. C'est grand les Amériques.
Et puis bien des années plus tard, il revint. Déjà très âgé. Il nous parla de Buenos Aires où en cinquante ans de vie il avait gagné et perdu dix fortunes. Son retour coïncidait avec une de ses périodes de dèche. Il n'avait pas un sou, marchait pieds nus et fut bien heureux de récupérer un pantalon de mon grand-père pour ne pas aller le tafanari à l'air. Il n'avait apporté avec lui, de là-bas, qu'un petit accordéon qui sentait la crasse et le moisi, et qu'il appelait bandonéon. Il en jouait, ma foi, assez joliment ; des petites mélodies exotiques qui nous faisaient rêver.
Pendant ces cinquante ans passés en Argentine, il avait oublié son nom. Je m'explique. Ce Michel-là, pendant cinquante ans s'était entendu appeler Miguel par les autochtones qui ne parlaient que l'étranger. Il exigea qu'on l'appela ainsi au village. Et pour tous, jusqu'à sa mort, il fut Miguel de Buenos Aires.
Le soir, à la veillée, quand il avait un peu picolé, il nous racontait que là-bas, à Buenos-Aires, il était très connu. Que des femmes...
Et mon ami Dominique Vandenbrouck, excellent bandonéoniste lui-même, qui connait bien l'Argentine, et y va souvent, m'a confirmé la chose. Aujourd’hui encore Miguel, est là-bas une véritable légende. Dominique vous le confirmera.
